7 Mai, 2022 | lcdm | No Comments
Drépanocytose : «Pour Madagascar, la solution est déjà à portée de main», dixit Pascale Tuseo-Jeannot
Face à la méconnaissance de la drépanocytose, une maladie qui touche pourtant près de deux pour cent de la population malgache, Pascale Tuseo-Jeannot, présidente de l’ONG Lutte Contre la Drépanocytose à Madagascar (LCDM), nous livre son avis par rapport à la situation de la maladie à Madagascar.
Midi Madagasikara (M.M) : En tant qu’acteur dans le domaine, comment trouvez-vous la situation de la prise en charge de la drépanocytose à Madagascar ?
Pascale Tuseo-Jeannot (PTJ) : Notre ONG est à l’origine de l’initiative de la mise en place de la politique nationale de lutte contre la drépanocytose à Madagascar et du programme du même nom. Grâce aux actions que nous et nos partenaires avons menées, nous avons pu améliorer nos systèmes de dépistage. Et plus nous arrivons à atteindre des zones enclavées, plus nous constatons l’ampleur de la maladie à Madagascar ainsi que ses dégâts. La situation est même très alarmante dans plusieurs régions.
Les milliers de drépanocytaires et leurs familles que nous prenons en charge à Madagascar sont soignés uniquement grâce aux plaidoyers et mobilisation de partenaires techniques et financiers que nous réalisons. En dehors de la contribution des médecins, membres de LCDM, toute la prise en charge des soins et des actions réalisées en faveur des drépanocytaires malgaches provient des aides extérieures.
On note toutefois une amélioration de la prise en charge de la maladie. Une nette avancée obtenue grâce à des initiatives de renforcement des capacités des médecins. Cependant, le manque d’infrastructures et la difficulté d’accès aux soins de qualité pour tous restent encore un grand handicap. Surtout pour une maladie aussi complexe que la drépanocytose.
M.M : D’après vous, quel est le défi qui reste à relever pour la Grande île dans la lutte contre la drépanocytose ?
PTJ : Pour la Grande île, la solution est déjà à portée de main en ce qui concerne la drépanocytose.
Au vu de la lenteur que prenait la validation/finalisation du Plan Stratégique de lutte contre la Drépanocytose (PSDM ) que nous avons initié avec le Ministère de la Santé Publique et ses partenaires depuis 2017, nous avons pris l’initiative d’avancer. Ainsi, en plein pic de la pandémie de Covid-19, entre juin et octobre 2020, notre ONG a mobilisé plusieurs experts internationaux. L’objectif était de concevoir un programme triennal en appui au programme national de lutte contre la drépanocytose à Madagascar.
Un travail de titan qui s’est fait bien évidemment sur plusieurs continents. Et compte tenu des restrictions liées aux déplacements, tout s’est fait en ligne.
Il va de soi que nous ayons pris soin de prévenir de cette initiative la Direction des Maladies Non Transmissibles (DLMNT ) qui nous a garanti son soutien.
A la suite de la présentation de ce projet finalisé et budgétisé, la DLMNT nous en a fait la demande afin qu’elle puisse contribuer à la mise en œuvre du PSDM. Ce dernier a été validé en atelier le 19 décembre 2020.
Le défi est donc de pouvoir mobiliser les ressources nécessaires afin que ce programme, qui est déjà bien élaboré, soit appliqué en intégrant tous les acteurs cités comme experts.
M.M : En fonction de vos expériences, comment trouvez-vous l’appréhension de la population quant à la maladie ? Les gens en connaissent-ils suffisamment l’existence, la dangerosité ou comment la soigner?
PTJ : Au vu des expériences vécues à Madagascar, même dans les zones dites de haute prévalence, la maladie reste encore peu connue et tabou.
La fatalité est souvent mise en avant. Elle est source de discrimination et de maltraitance. Car si dans d’autres pays on entend toujours «Maladie du noir et/ou Maladie des noirs», à Madagascar c’est «la maladie du Sud-Est, le maladie des côtiers ou encore la maladie des pauvres».
Des milliers de femmes se retrouvent seules et sans ressources avec un ou plusieurs enfants malades. Un fait exacerbé par le caractère chronique de la maladie. Qui dit maladie chronique dit, en effet, hospitalisations fréquentes.
Et comme la prise en charge d’une Crise Vaso Occlusive (CVO à ne pas confondre avec le Covid organics) est facturée entre 100 000 et 2 millions d’Ariary la semaine, selon sa sévérité, la situation est intenable et met les femmes concernées devant le choix de l’impossible entre nourrir les uns et soigner les autres.
Toutefois, la manière dont la majorité des populations que nous approchons lors des campagnes de sensibilisation aborde le sujet est rassurante. Peut-être parce qu’elles arrivent à se mettre à la place des personnes ayant des enfants atteints de la drépanocytose. Il y a également la façon dont les acteurs abordent le sujet auprès des communautés. Adapter le discours sans infantilisme tout en renforçant l’éducation est la meilleure façon de le faire. Cela permet, par ricochet, de les impliquer dans la lutte. Une fois ce stade atteint, ils adhèrent rapidement et les conseils sont vite suivis.
M.M : Pouvez-vous nous en dire plus sur comment vous menez vos campagnes de sensibilisation ?
PTJ : Dans notre lutte, nous optons surtout pour les séances d’éducation thérapeutique afin qu’ils apprennent à vivre quotidiennement avec la maladie en suivant des règles et des disciplines de vie. Aussi, nous les invitons au changement de comportement, non seulement vis-à-vis de la maladie, mais surtout en ce qui concerne la régulation des naissances. Mais ce changement est la responsabilité de tous. Avant d’être des drépanocytaires, ils sont des citoyens à part entière et devraient directement jouir du statut de personnes vulnérables. Un débat qui n’a plus lieu d’être, surtout en cette période de pandémie de Covid-19.
Il est primordial de changer les modes de communication et d’oublier les préjugés qui sont délétères. Comme je l’ai précisé plus haut, sans l’apport de nos campagnes d’IECCC (Informer Éduquer Communiquer en vue d’un Changement de comportement ), il était tout à fait normal que la population concernée par la drépanocytose ignore les conduites à tenir. Ne serait-ce que les plus basiques comme le fait de boire au moins 2 à 3 litres d’eau par jour pour lutter contre toutes formes d’infections.
Le changement de comportement demande des approches multisectorielles au travers desquelles les différents ministères impliqués et leurs partenaires devraient se donner la main. Car une chose est sûre: les gens ne se rendent comptent de la dangerosité de la maladie qu’une fois bien informés.
Recueillis par José Belalahy
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